Sur le chapitre dédié au système défaillant, nous avions commencé à aborder l’inefficacité de certaines lois en RD Congo. Du point de vue légal, ces lois ne sont pas du tout mauvaises. Pourquoi sont-elles donc si inefficaces ?
Plusieurs raisons peuvent l'expliquer selon moi.
Tout d'abord, le fait que le modèle démocratique tel qu'appliqué en Occident n'est pas adapté aux réalités sociologiques et aux priorités de la RDC. Peu après le départ de Mobutu, nous avons voulu mettre en place un système dit démocratique sur le modèle européen. Il faut cependant s'imaginer qu'avant l'instauration de ce système, les congolais ont vécu pendant 32 ans sous le règne sans partage de Mobutu. Le Léopard du Zaïre avait pu réunifier le pays en inculquant aux zaïrois l’idée qu’ils appartenaient tous à une seule nation, qu’il ne fallait pas se laisser emporter par des sentiments de régionalisme, népotisme ou encore tribalisme et qu’ils avaient qu’un seul guide, lui Mobutu Sese Seko. Et il fallait lui faire confiance car il allait avant tout défendre les intérêts de tous les zaïrois. On peut beau critiquer cette façon de gérer un pays, nous devons quand même reconnaître que pendant plusieurs années, le pays était stable, puissant et respecté. Qui n'a jamais entendu parlé du Zaïre ?
En 1997 lorsque Laurent Désiré Kabila a accédé au pouvoir en passant par tous les moyens possibles, le pays s'est retrouvé déchiré. Pour résoudre ces problèmes, une nouvelle constitution a été votée par référendum en 2005 avec des élections tous les 5 ans comme en Occident. Le peuple congolais était-il préparé à un changement aussi drastique ? Pas du tout.
Je me rappelle encore au moment du référendum pour adopter la nouvelle Constitution, on était à Moanda à l’Ouest de la RD Congo. Les gens ne comprenaient même pas de quoi il était question. Lors de l'organisation des premières élections, comme les gens n’étaient pas préparés à voter, ils votaient par rapport à leur tribu ou votaient simplement celui qui pouvait leur offrir quelques billets de banque.
En réalité, les politiciens qui étaient censé aider le pays à se reconstruire ont profité de l’ignorance du peuple et surtout de la pauvreté des gens pour se faire élire. Il n’y a pas eu de campagne de sensibilisation sérieuse pour que les gens, en particulier ceux qui vivaient dans des villages ou en milieux ruraux, puissent comprendre comment fonctionne un tel système et quel en était les enjeux. Et je vous avoue qu’en 2023, les choses n'ont pas malheureusement pas beaucoup changé.
Pour un pays qui fait 4 fois la taille de la France, avec plus de 400 groupes ethniques et plus d’une centaine de langues, et dont une majorité des infrastructures ont été détruites à cause de la guerre, je pense qu’il y a eu un sérieux problème de priorités. Comment pouvait-on penser qu’organiser des élections démocratiques dans un tel contexte allait stabiliser le pays ou résoudre les problèmes ?
Considérant le contexte politique et sociologique expliqué plus haut, on peut difficilement imaginer que l’appareil politique français ou belge était adapté à la RD Congo.
En parlant de priorisation, saviez-vous que chaque cycle électoral coûte au trésor public congolais plusieurs centaines de millions de dollars américains ? Pour ce cycle de 2023, c’est un peu plus d’1 mia USD qui a été utilisé pour l'organisation des élections. L’un de projet phare lancé en 2021 par l’actuel président s’appelle PDL-145T ( Programme de développement local des 145 territoires). Le PDL-145T vise à réduire les inégalités spatiales, redynamiser les économies locales et transformer les conditions et le cadre de vie des populations congolaises vivant dans les zones jusque-là mal desservies par les infrastructures et services sociaux de base. Le coût de ce projet est de 1,6 mia USD. Malheureusement, ce beau projet rencontre des problèmes de financement et à de la peine à se matérialiser sur le terrain. Nous voyons donc que les centaines de millions de dollars gaspillés tous les 5 ans pour des élections inopportunes pourraient en réalité servir à reconstruire le pays…
Une autre cause de l'inefficacité du système démocratique mis en place selon moi est l'absence de l’autorité de l'État et la précarité dans laquelle vivent ceux qui sont censés faire respecter la loi.
Qui sont les personnes censées veiller au respect de la loi ? Ce sont le corps de police, les juges, les inspecteurs, etc. Or tous ces gens ne sont pas bien pris en charge par l'État. Ils sont non seulement mal payés et mal équipés, mais également mal formés. Ces lacunes dans la formation du corps de police posent un sérieux problème d’application des lois, parce que celui qui est censé faire respecter la loi l’ignore ou la viole.
Aussi, comme les policiers et juges sont mal payés, n'importe quel problème de loi peut être résolu par de l'argent. Il suffit de leur glisser quelques billets de banque pour que la victime devienne coupable et vice versa, avec comme conséquence un contrôle total de l’appareil judiciaire, censé être indépendant, par les riches.
Un dernier point important qui explique la difficulté de l'application des lois en RDC est le décalage entre la culture des lois écrites avec la culture orale des congolais. En effet, en RDC et comme dans la majorité des pays africains, les gens ont peu l'habitude de lire, les textes se transmettent oralement. Je constate qu’en RDC, contrairement à la Suisse ou à d'autres pays européens, ce qui est écrit a moins d'importance que ce qui est dit. Il existe d'ailleurs de nombreuses coutumes orales appliquées depuis des centaines d'années qui ont plus d'importance que les lois écrites instaurées plus récemment. Ainsi, les lois écrites dans la constitution congolaise ou dans d'autres textes de lois sont souvent mal connues : elles existent pour la forme mais sont rarement appliquées.
Face à ces constats, quels sont vos suggestions ?
Pour ma part, concernant le développement du pays en général, je pense qu'il faut que les hommes politiques échangent plus avec la population afin de trouver des compromis et décider ce qui est important de développer à court, moyen et long terme. Il faut mieux définir les priorités pour un développement réel du pays.
Concernant le problème des lois et du système politique, je pense qu'il faudrait développer des moyens de communication plus adaptés pour sensibiliser la population sur le fonctionnement du système et les enjeux des élections. Ne pas attendre seulement la veille des élections pour communiquer avec la population, mais plutôt intégrer et expliquer les lois dans le quotidien des gens, afin qu'ils se sentent plus concernés. Donner les moyens à toutes les couches sociales de comprendre comment fonctionne le système par exemple par des jeux, par la musique, par des contes, par des vidéos, par le théâtre, etc.
Et vous, qu'en pensez-vous ?
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Commentaires
La démocratie n'est pas seulement faire d'élection. Le démocratie existe avec tous les systèmes.
Merci beaucoup pour la lecture et votre commentaire. Mais je ne suis pas sûr d’ avoir bien compris le sens de votre réflexion ?