Comme nous l’avons vu précédemment, la difficulté qu’a la RD Congo à se développer peut en grande partie être imputée à l’influence des grandes puissances et leur volonté de maintenir ce pays de richesses géologiques dans une situation d’instabilité perpétuelle.
Ceci Mobutu l’avait bien compris et l’avait même dénoncé lors de son discours tenu à la tribune de l’ONU en 1973 en ces mots :
Le monde se divise en deux camps : les dominés et les dominateurs, les exploités et les exploiteurs. Les pays pauvres ne le sont pas par incapacité congénitale, ils le sont par suite de l’histoire, qui a fait que certains pays ont dominés, exploités et pillés d’autres pour s’enrichir. Quand le riche devient toujours plus riche, et c’est de la logique mathématique, quand le riche exploite le pauvre, le riche devient de plus en plus riche, et le pauvre, de plus en plus pauvre…
Pourtant, quand on observe de près, le colon blanc est-il le seul responsable de la misère dans laquelle vivent les congolais ? Honnêtement, je ne pense pas.
Le problème se trouve aussi dans le mode de fonctionnement du système congolais. J’identifie 3 causes principales qui contribuent à maintenir les congolais dans cette situation de pauvreté :
- Tout d’abord, l’accaparement des richesses par la classe dirigeante du pays et les injustices sociales. En effet, seule une poignée de gens profitent des richesses du Congo en dépit de la majorité des congolais qui croupissent dans la misère. Malheureusement, les dirigeants semblent toujours arriver avec des solutions conjoncturelles qui ne règlent pas le fond du problème et qui sont rarement à l’avantage de la majorité. Ils viennent avec l’idée de d’abord assurer leurs arrières et perdent de vue l’intérêt général. Très peu dans la scène politique congolaise défendent et appliquent des valeurs salutaires et je me demande combien parmi eux ont de réelles convictions politiques.
- Deuxièmement, la non applicabilité des textes de lois et des autres règles du jeu
que les congolais se sont eux-mêmes fixés dans le cadre d’une démocratie. Je remarque que les lois existent, pourtant elles sont appliquées uniquement au bon vouloir des gens (nous essaierons plus tard de comprendre pourquoi ces textes peinent à être mis en pratique). Par exemple, en 2017, une loi sur l’interdiction de la commercialisation des sacs et emballages plastiques a été introduite. Dans les faits, on constate que la loi n’est respectée et que l’autorité de l’état n’est pas toujours présente pour veiller sur son application. Par conséquent, les sacs continuent à polluer les villes.
- Finalement, le manque de responsabilisation des congolais en général. J’ai l’impression que tout le monde constate les problèmes, mais chacun se déresponsabilise et accuse l’autre d’être coupable ou à l’origine des soucis. Pour revenir sur l’exemple des déchets, on parle souvent des emballages qui s’accumulent dans les caniveaux, pourtant la majorité des gens continue à jeter ses ordures par terre et peu de personnes fournissent de réels efforts pour contribuer à la propreté.
UN ENFANT NE EN RD CONGO DANS LES ANNEES 90
La situation politique instable de ces 30 dernières années a entraîné tout le pays dans un gouffre insurmontable et croissant. J'ai vu des jeunes congolais et congolaises dépourvus de considération, de toute dignité humaine et abandonnés à leur propre sort. Je les ai vus se démener à la recherche d’une miette de pain sans aucune perspective d'avenir. Les parents n’étant plus en mesure de subvenir aux besoins primaires de leurs enfants, ils ont totalement perdu le contrôle de l’éducation. Ces enfants se retrouvent donc dans la rue à se droguer, boire des alcools forts et commettre des actes répréhensibles.
Pourtant, nous ne pouvons accuser ces jeunes d’être la source de leurs problèmes. Avant eux, nous l’avons vu, il y a un passé, une histoire. L'histoire nous apprend que ce pays très riche en mines de terres rares et parmi les plus grands du monde a toujours connu une situation politique instable et chaotique.
Je suis né le 19 octobre 1990. Ne considérant que les épisodes noirs depuis années 90 (pillages généralisés, coup d’état, guerres, assassinat du président en plein exercice, transition politique sanglante, etc.), comment peut-on espérer qu’un enfant qui est né pendant cette période dans un tel pays grandisse normalement ?
Je me souviens de cette période où l'eau ne sortait plus du robinet et qu'il n'y avait plus d'électricité à cause des rebelles qui avaient pris le contrôle du barrage d’Inga au Kongo Central (anciennement Bas-Congo à l’ouest) et avaient coupé le courant. Le pays était dans un désastre total alors que Kabila le père venait tout juste de prendre le pouvoir par un coup d'État. On avait creusé un puits derrière la maison pour avoir de l’eau et on pillait le maïs qu’on cuisait avec l’huile de palme pour manger.
J'avais 8 ans alors, quand j'entendis pour la première fois des tirs à balles réelles provenant d'armes lourdes de guerre. Je voyais les gens courir dans tous les sens. Je vois encore ce jeune militaire qui passait devant notre parcelle et tirait en l'air de manière chaotique pour terroriser les gens. L’un de mes frères, alors âgés de 10 ans, encore tout innocent, était resté dehors manger pendant que ce militaire tirait juste devant la maison. Ma mère est alors sortie en courant prise de panique pour ramener au plus vite mon frère dans la maison.
Tout le monde avait tellement peur. Les voisins venaient se réfugier chez nous pour se protéger. Mon père est militaire, alors ça rassurait les gens, même s’il n’était pas présent.
Je me souviens, c’était presque toute l’avenue qui cherchait un abri. Les gens se bousculaient pour entrer dans la maison, au point que ma mère a fait tomber ma sœur qui n'était alors qu'un bébé. Jamais je n'ai eu aussi peur dans ma vie et je suis sûr qu'aucun enfant au monde n'aimerait vivre un tel enfer et accepterait de garder ces souvenirs indélébiles.
Aujourd’hui, il se pose un sérieux problème pour la majorité des jeunes qui totalisent 30-35 ans. Ils n’ont pas reçu d’éducation sûre, de la formation de qualité et n’ont pas acquis d'expérience professionnelle à cause du manque d’emploi. Il s’agit de toute une génération presque ratée. Je me demande si nous réalisons le danger qui guette si rien n’est fait pour les soutenir et changer le système politique assez rapidement. En regardant ces jeunes qui ont mon âge, je me dis que si j’ai dû travailler durement pour avoir une situation acceptable, j’ai aussi eu beaucoup de chance.
Je me considère des fois comme rescapé d’un système mal-en-point.
Peut-on conclure que les habitants de ce petit coin de paradis, poumon vert de la planète, ont la malchance d'avoir un sous-sol béni ?
Que répondrons-nous à nos enfants de ce que nous avons fait de notre pays ? Ce n'est pas moi ? C'est à cause de la majorité ou de l'opposition ? Quel héritage léguons-nous aux générations futures ? Des conflits meurtriers ? Des politiciens génocidaires ? Le rêve d'abandonner son pays pour l’Europe ou les Etats-Unis ? Des églises et des terrasses bruyantes jour et nuit ?
La peur ?
J'invite chaque lecteur et lectrice à répondre à ces questions.
À celles et ceux qui diront « Je n'ai aucune responsabilité », je leur demande tout simplement de penser à leur propre avenir, à l'avenir de leurs enfants et à l'avenir de leur pays. Ils comprendront que, d'une manière ou d'une autre, nous avons tous notre part de responsabilité.
Les jeunes sont nombreux à quitter leur pays. Mais peut-on les accuser de prendre la route, parfois sans destination sûre en tête ?
Mais lorsque l'on quitte son pays d’origine à cause de l’instabilité pour aller tenter ailleurs, quel est le prix à payer ?
La réponse se trouve dans les prochains chapitres consacrés au quotidien d’un migrant.